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OMS et Supply Chain à l’ère de l’IA : entretien avec Ambroise Gressier.

 Ambroise Gressier lors de sa visite dans nos locaux

Dans l’univers de la distribution, la supply chain n’est plus un simple rouage opérationnel : elle est devenue un levier stratégique de compétitivité et surtout, le poumon de l’expérience client.


Une étude IFOP reprise par Visionary marketing rappelle que la livraison est le premier irritant client : plus de 57 % des consommateurs déclarent changer de marque après une mauvaise expérience de livraison.

Au cœur de ce dispositif, une brique technologique joue un rôle souvent sous-estimé : l’Order Management System (OMS). Cet outil, à la croisée du commerce, du digital et de la logistique, est le véritable chef d’orchestre de l’expérience client.

Pour en parler, nous avons rencontré Ambroise Gressier, expert reconnu de la supply chain, passé par Capgemini, Petit Bateau, La Redoute et Damart . Avec lui, Olivier Guillouzouic, spécialiste en IA et Data et fondateur de Fourseeds, confronte sa vision : comment conjuguer excellence opérationnelle et intelligence artificielle pour transformer durablement la promesse client ?

 

Sommaire :

1. Le parcours d’Ambroise : de SAP à l’OMS

2. L’OMS : colonne vertébrale de l’expérience client

3. Les défis des ETI de distribution

4. Excellence opérationnelle avant l’IA

5. Méthodologie et gouvernance : sortir des silos

6. L’avenir de l’OMS : intégration end-to-end et Data

 

 

FOURSEEDS IA DATA SUPPLY

 

1. Le parcours d’Ambroise : de SAP à l’OMS

Fourseeds : Ambroise, tu as eu un parcours riche entre l’industrie, la distribution et le conseil. Peux-tu nous raconter ce chemin ?

Ambroise Gressier : J’ai commencé chez Capgemini avec des projets d’amélioration de la performance industrielle et logistique, mais aussides projets d’intégration SAP (modules MM, PP, SD, FI/CO…). Cela m’a permis d’acquérir une rigueur industrielle et une compréhension fine des flux financiers et logistiques. Dans l’industrie, j’ai découvert une culture du processus et de la rigueur.

Lorsque j’ai rejoint La Redoute puis Damart, le contexte était différent : traiter des milliers de commandes clients quotidiennes. Là, j’ai mesuré le rôle central de l’OMS, capable d’orchestrer la relation entre le front (magasin, e-commerce) et le back (stocks, logistique).

J’ai également pu approfondir la dimension omnicanale. Le consommateur attend une promesse claire : commander en ligne, récupérer en magasin, en point relais ou à domicile, être livré rapidement, et être informé en cas de problème. L’OMS devient alors un point névralgique, reliant des systèmes multiples et des équipes aux logiques parfois différentes.

 

 

2. L’OMS : colonne vertébrale de l’expérience client

Fourseeds : Beaucoup considèrent encore l’OMS comme un outil technique. Comment le définirais-tu ?

Ambroise : L’OMS a deux missions fondamentales :

  1. Orchestrer le flux de commande du client, de l’achat jusqu’à la livraison finale.
  2. Piloter et publier la disponibilité produit, souvent en temps réel, sans laquelle aucune promesse client ne peut être tenue.

L’OMS permet de mutualiser les stocks entre entrepôts et magasins, renforçant la fiabilité de la promesse client. L’expérience d’achat n’est plus cloisonnée : le client perçoit une marque unique, et non une organisation interne éclatée.

Prenons un exemple : un client commande en ligne un produit disponible dans un magasin voisin. L’OMS doit être capable de router la commande vers le bon point de préparation, de déclencher les processus de préparation en fournissant les documents adéquats, notamment pour le transport, de mettre à jour le stock, de notifier le transporteur et le client et d’assurer le suivi de la bonne exécution … donc de réagir aux aléas (par exemple si le magasin voisin, finalement, n’a plus la pièce en stock).

L’OMS est souvent considéré comme une brique purement technique, car il y a rarement besoin d’utilisateurs qui soient, au quotidien, derrière une « console OMS ». C’est vite fait de s’en désintéresser, et de laisser la DSI maintenir l’outil seule.

Pour autant, l’OMS est avant tout un système opérationnel. On y gère l’exécution des commandes clients, donc c’est un outil qui doit être piloté de près par les équipes logistiques et service clients.

Chez La Redoute, nous avons connu une période de crise, car à l’origine, personne ne pilotait l’OMS, qui « tournait tout seul ». Une erreur lors d’une bascule importante a généré l’insatisfaction de milliers de clients. Il a fallu réagir, non seulement sur le plan technique pour corriger les anomalies, mais aussi sur le plan métier. Nous avons mis en place une équipe « Tour de contrôle », basée en logistique, et chargée de vérifier que toutes les commandes étaient correctement traitées, et ce, avant que les clients n’appellent au service clients !

La tour de contrôle était aussi chargée d’analyser les causes récurrentes de défaut de qualité de service, et de les corriger (écarts de stock, erreurs sur les données produits, erreurs sur les coordonnées clients, désynchronisation de stock entre les différents SI, …), ou, plus précisément, d’animer tous les acteurs qui devaient s’assurer des corrections (les équipes produits pour les données produits, les équipes service client pour les données clients, etc.). Ce rôle essentiel de pilotage et d’animation nous a permis d’atteindre un NPS de 50 en moins de 2 ans.

 

 

3. Les défis des ETI de distribution

Fourseeds : Dans tes expériences, quelles difficultés observes-tu particulièrement dans les ETI de la distribution ?

Ambroise : La première difficulté est culturelle. Ces entreprises ont une forte culture commerciale et produits, mais manquent souvent de rigueur de fonctionnement . Résultat : elles sous-estiment l’importance des Opérations et de l’IT. Elles ont tendance à voir l’IT comme un simple centre de coûts. Elles peuvent accepter d’investir dans leur IT, mais ne sont pas vigilantes à considérer leurs SI comme un véritable asset, qu’il faut entretenir et maintenir opérationnellement.

C’est ce qu’on peut appeler la dette technique, au sens large : les systèmes tiennent, mais la connaissance des équipes s’effrite, la documentation n’est pas à jour, les compétences se perdent, et la qualité des données se dégrade rapidement. Economiquement, les investissements deviennent obsolètes plus rapidement qu’à leur tour, car on n’a pas su mettre en place l’effort nécessaire, tant côté métier que côté IT, pour les maintenir à bon niveau.

Je l’ai constaté récemment de manière frappante, dans une entreprise où le service clients est régulièrement amené à contrôler et à corriger manuellement les BL et factures générés par le SI … parce que les données produits, notamment les poids, ne sont pas maintenus correctement dans les différents systèmes. On met de l’énergie à corriger les effets, plutôt que de mettre la cause sous contrôle. 

 

Fourseeds Supply Chain IA Data

 

4. Excellence opérationnelle avant l’IA

Fourseeds : Tu sembles prudent sur l’usage de l’IA en supply chain. Pourquoi ?

Ambroise : L’IA présente un potentiel très intéressant, mais je vois un sujet qui me semble prioritaire: beaucoup d’entreprises ne se sont pas encore organisées pour maîtriser les fondamentaux opérationnels.

L’IA peut aider sur plusieurs points :

  • Détecter les anomalies dans les données,
  • Générer des attributs complémentaires qui aident à bien vendre chaque produit
  • Prévenir les ruptures ou les retards,
  • Anticiper les pics de demande.

Mais on ne peut pas déléguer aveuglément ces tâches à l’IA, avec un syndrôme de la « boite noire » qui inciterait chacun à se désengager.

Une phrase résume ma pensée :
👉 « L’IA ne nous remplacera pas, mais nous serons remplacés par ceux qui sauront l’utiliser. »

Cela suppose de conserver une supervision humaine, et surtout une responsabilité clairement assumée par des humains. À la fin, un client attend toujours son colis physique. Si personne n’assume la responsabilité que ce colis lui parvienne effectivement, peu importe l’IA.

 

 

5. Méthodologie et gouvernance : sortir des silos

Fourseeds : Tu insistes souvent sur la gouvernance. Que veux-tu dire ?

Ambroise : Trop d’entreprises fonctionnent en silo, et laissent notamment la DSI travailler seule, comme si c’était un simple fournisseur de services externe. Or, l’OMS est par essence transverse : il mobilise le commerce, la logistique, le digital, la finance, … et l’IT évidemment.

Si chaque département prend sa part de responsabilité, et collabore au service du client, l’OMS devient un atout majeur. Sinon, il se transforme en source de tensions.

Chez Petit Bateau, puis à la Redoute, j’ai vu de gros projets réussir grâce à une gouvernance claire et un partage des responsabilités. Ailleurs, des projets échouaient parce que la DSI construisait dans son coin, sans impliquer les métiers … qui, de leur côté, étaient plutôt soulagés que le risque du projet soit porté par une autre équipe ...

 

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6. L’avenir de l’OMS : intégration end-to-end et Data

Fourseeds : Si tu devais anticiper, quel sera le futur de l’OMS ?

Ambroise : L’avenir, c’est l’intégration de bout en bout. L’OMS ne doit plus être une brique qui se contente d’intégrer les données au sein de l’entreprise, mais doit devenir un hub qui permet de piloter aussi des données externes:

  • les stocks, de l’entreprise mais aussi ceux des fournisseurs
  • les transporteurs et leur tracking, jusqu’au domicile des clients
  • les points de vente,
  • les systèmes e-commerce.

L’idée est de  réunifier la donnée pour avoir une vision unique. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises fonctionnent encore en silos. A la Redoute, nous avions commencé à intégrer les données de nos principaux distributeurs (Relais Colis, La Poste, …) pour s’assurer du fait que la commande d’un client était non seulement expédiée, mais aussi bien réceptionnée par le client. Cela nous avait notamment permis de détecter des hubs de distribution où les erreurs étaient plus fréquentes qu’ailleurs, et d’attirer l’attention de nos partenaires sur les endroits où il fallait mettre de l’effort.

Demain, l’OMS sera capable d’orchestrer la chaîne complète de valeur, du fournisseur au client final. L’IA pourra alors accélérer l’optimisation : meilleure allocation des stocks, personnalisation de la promesse, ajustement en temps réel.

Mais sans excellence opérationnelle, aucune IA ne pourra sauver l’expérience client.

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Conclusion :

L’entretien avec Ambroise Gressier nous rappelle une vérité fondamentale :

  • L’OMS est bien plus qu’un outil IT. C’est la colonne vertébrale de la promesse client.
  • Les ETI doivent dépasser leurs seuls réflexes commerciaux pour intégrer rigueur, gouvernance et excellence opérationnelle.
  • L’IA n’est pas une baguette magique. Elle sera un accélérateur puissant, mais seulement si les bases sont solides.

Le futur de la supply chain se joue donc sur un équilibre : des fondations robustes, une gouvernance partagée et une ouverture intelligente à l’IA.

 

Merci Ambroise pour cet échange passionnant!